Le lait tournait parfois, débordait et formait toujours une fine peau à la surface dans la casserole.
Les enfants jouaient insouciants dans les bois, sans avoir besoin d’un téléphone portable pour prévenir leurs parents de l’arrivée d’un éventuel pervert.
Le matin à l’école, les plus chanceux racontaient l’unique film qui était passé à la télévision le dimanche soir.
Les prêtres aimaient bien les enfants et les enfants aimaient le catéchisme et les colonies de vacances.
Les billes s’échangeaient plus facilement dans la cour de récréation que les jeux vidéos.
Le petit écran était la bible, tout ce qui s’y disait était parole d’évangiles.
On se faisait la bise, on se serrait la main, on se tapait dans dos, on buvait dans le même verre, on faisait l’amour sans préservatif.
Les filles portaient des minijupes, des chemises à fleurs sans soutien-gorge et les gars avaient des cheveux longs et des pantalons pattes d’eph.
Le Président de la République était un homme honoré et respecté, absent des tabloïds qui consacraient leurs unes aux seins de Brigitte Bardo, pas à ceux de la première dame.
Les États-Unis semblaient l’El-Dorado, une destination inaccessible et promesse de tous les possibles. Les russes mouraient de faim et de froid en Sibérie, ils étaient de méchants ogres et voulaient tous nous exterminer.
Le vin et la cigarette ne nuisaient pas encore à la santé et les feuilles d’amiante recouvraient nos maisons ainsi que les vêtements des pompiers.
Le pétrole propulsait l’économie vers l’avenir et les étoiles et le nucléaire n’avait pas encore rayé de la carte du monde une partie du Japon et de l’Ukraine.
La science était forcément bénéfique et dieu un peu passé de mode.
Mais c’était avant.
Aujourd’hui les enfants sortent avec un masque sur la bouche, un portable dans une poche, des préservatifs dans l’autre. Ils ne craignent ni les russes ni les ricains mais les djihâdistes qui se planquent dans les salles de concerts et dans les avions. Les jeunes insultent les filles sexy au lieu de les siffler et traitent le président de petit PD, regardent des pornos sur leur smartphone et reçoivent des SMS inquiets de leurs parents toutes les cinq minutes. Ils se foutent de dieu et de la science et ne croient que les fake news des réseaux sociaux. Ils pensent que le monde est foutu et que l’on ne peut rien y faire. Les adultes sont dépassés par la technologie et s’accrochent désespérément au journal de vingt heures pour comprendre, s’essayant aux réseaux sociaux avec les codes de leur enfance. Ils pensent que le monde est bien mal barré et comptent sur leurs rejetons pour le sauver.
Au bout du compte rien a changé.
La peur est toujours là, générations après générations et l’homme ne grandit pas. Les adultes reportent leurs espoirs sur leurs enfants qui à leur tour feront de même, mais jusqu’à quand ?