Je ne vous cache pas que cela faisait trop longtemps que je peinais sur des livres médiocres. Il était temps que je renoue avec la littérature. Un Laurent Gaudé emprunté par mon épouse à la médiathèque trainait négligemment sur la table, me narguant alors que je m’ennuyais sur le dernier tome d’une trilogie de science-fiction. J’ai retiré le marque page du gros pavé de 1500 pages et me suis emparé de La Porte des Enfers. Ma femme ne protestant pas, j’ai commencé sa lecture. Le lendemain, je l’avais dévoré.
Tout commence par un fait divers à Naples en 1980. Un père conduisant son fils à l’école est pris dans un fusillade. Le petit Pippo âgé de six ans meurt et l’univers de ses parents s’effondre brutalement. La même année, un tremblement de terre ravage la ville et l’enfant revient parmi les vivants.
La Porte des Enfers est l’histoire d’un drame ordinaire, d’une vengeance et un conte fantastique à la manière de l’enfer de Dante. Un père traverse le Styx pour ramener à la vie son enfant fauché par une balle perdue.
C’est également l’histoire de Naples, la ville bruyante, crasseuse et tellement vivante qui se dresse au pied du Vésuve. C’est un roman que Laurent Gaudé a écrit pour ses proches disparus. Un livre raconté à deux époques, en 1980 lorsque le petit garçon trouva la mort et en 2002 lorsqu’il vengea son père. Un voyage en enfer, dans le monde des vivants et celui des morts.
Un incroyable roman que l’on dévore en quelques heures, un récit brutal et fort comme beaucoup des livres de Laurent Gaudé.
Le décès d’un proche est toujours une douloureuse épreuve croyez-moi. Une épreuve que j’ai hélas eu à affronter à de nombreuses reprises en un demi siècle.
Outre la souffrance de la perte d’un être aimé, il y a toutes ces décisions qu’il faut prendre rapidement, ces déplacements à l’autre bout du monde, ces appels téléphoniques sans fin et le passage au tiroir-caisse.
Car mourrir n’est pas gratuit loin de là. Tout le monde se sert au passage, même si le défunt ne possédait rien. C’est l’usage…
Je viens de perdre mon père le jour de mon anniversaire, un chouette souvenir pour les prochaines célébrations. Avant cela, j’avais perdu mon oncle, ma mère, mon neveu, trois de mes frères, ma tante, mes grands-parents, la mère d’un ami ainsi que sa fille. Dans ma famille de cinq enfants il me ne reste qu’un grand frère un peu fou. Par chance j’ai une épouse et deux garçons. Je ne suis pas encore tout seul.
La disparition d’un proche, en plus de la douleur, c’est une réelle épreuve financière dont on parle assez peu souvent. L’argent c’est tabou quand il s’agit des morts. Je ne parle pas des impôts liés à la succession, surtout lorsqu’il n’y a pas de succession, mais des frais qu’engendrent un décès.
Il y a les déplacements en urgence, oui c’est cher un train pris à la dernière minute, l’hébergement pour plusieurs jours lorsque vous vous êtes éloignés de votre domicile, il y a les pompes funèbres qui se servent généreusement, même pour un service minimum, il y a la célébration, si le disparu voulait un culte, il y a la publication dans la presse locale pour avertir les amis et connaissances (ce ne sont pas les tarifs du Bon Coin), il y a les démarches administratives avec les nombreux courriers en accusé réception à envoyer aux banques, caisses de retraites, mutuelles, impôts, Sécurité Sociale, notaires, avocats et j’en passe.
Le service minimum des pompes funèbres est tout simplement sordide, incinération sans cérémonie dans une caisse en cageot avec une musique d’ascenseur. Pour une présentation du cercueil, il faut déjà passer à l’option plus, pour une boite en palettes vernies, plus plus, pour une urne ne ressemblant pas à un pot de chambre, plus plus plus, pour le dépôt de l’urne dans le caveau familial, plus plus plus plus, pour le transport du corps à un lieu de culte on passe là carrément à l’abonnement premiun.
Le séjour en chambre mortuaire par jour : 100 euros
Une publication dans le journal : 150 euros
Une messe : 200 euros
Une urne : 250 euros
Les soins du corps : 250 euros
Une mise au caveau : 500 euros
Le transport en corbillard : 600 euros
Une crémation sans cérémonie : 800 euros
Un cercueil en pin verni : 800 euros
Bien entendu, il existe des assurances. Oui comme pour votre logement ou votre voiture, mais pour la mort. Celles-ci ne vous remplacent pas le défunt par une nouvelle âme (enfin pas encore), mais remboursent une partie des frais des pompes funèbres, le reste pouvant être prélevé sur le compte du mort, pour peu qu’il y ait de l’argent dessus. Donc si vous êtes suffisament prévoyant, vous ne mettez pas votre proches sur la paille.
Mourrir n’est pas gratuit, pensez-y avant de passer l’arme à gauche, surtout si vous désirez une sépulture autre que la fosse commune et une cérémonie de sans domicile fixe. C’est moche mais c’est ainsi.
Parfois je me moque, je suis cynique, parfois je m’énerve, aujourd’hui je suis grave et sombre, pas d’humour, juste du vague à l’âme, si vous n’êtes pas d’humeur, ne lisez pas.
J’ai toujours eu un rapport compliqué à la mort et la souffrance qui l’accompagne.
Ma première rencontre avec elle, quoique théorique, fut effrayante. Ce fut le jour où je découvris, qu’un homme peut en tuer des millions en quelques secondes. J’étais tout petit. De mon lit, j’avais entendu un reportage sur Hiroshima et Nagasaki. J’ai beaucoup pleuré cette nuit là et cauchemardé ensuite. Cela me paraît toujours aussi monstrueux.
La seconde occasion fut concrète et douloureuse. Une petite fille de dix ans se faisait faucher par une voiture. Elle était mon amie, elle revenait de la danse, un jeudi après-midi. J’ai refusé d’aller à ses obsèques, j’étais trop choqué. De ce jour, jusque il y a peu, j’ai refusé la mort, fuyant les cérémonies religieuses.
Mais la faucheuse oeuvre quand même, qu’il y ait des spectateurs ou non, cela n’y change rien. Ma grand mère mourut folle, sans que cela m’émeuve vraiment, ma tata adorée succomba à un cancer, puis mon grand père admiré. A chaque fois je vécu ces disparitions dans le déni.
Puis mon grand frère, mon poteau, celui qui m’invitait à d’épiques fiestas, tomba gravement malade, encore un cancer. Sa vie fragile devint l’affaire de quelques mois, jusqu’au coup de téléphone, celui que vous redoutez tant et qui vous fait détester à jamais les sonneries stridentes. Ce fut ma première cérémonie funéraire, civile, mais belle, entouré de ses amis. J’étais préparé à cette disparition, enfin je le croyais, mais il me manque toujours terriblement.
Lorsque la mort s’invite chez vous par surprise, sans frapper à la porte, sans faire de bruit, le choc n’en est que plus brutal. Un dimanche matin, après une nuit joyeuse chez des amis, ce maudit téléphone sonna une nouvelle fois. Un autre grand frère venait de partir, lassé de la vie. Le corps ne contient pas assez de larmes pour noyer le chagrin qui vous submerge alors brutalement. Un second frère s’en était allé, sans prévenir. Un nouveau voyage au pays de mes ancêtres, un train que je vais apprendre à détester comme la sonnerie du téléphone, une nouvelle cérémonie civile, une famille qui se réduit comme peau de chagrin.
Peu après, tout aussi brutalement, son fils mit fin à ces jours. Une malédiction, un roman d’horreur, une famille ravagée part la douleur Le téléphone puis le train et une nouvelle cérémonie civile.
Puis ce fut ma mère, et sa douloureuse fin de vie, des jours et des nuits à l’hôpital puis le coup de fil de l’interne au petit matin. Son heure était arrivée depuis longtemps, ce fut presque un soulagement pour elle. Mais cette fois la cérémonie fut sordide.
Ma rencontre avec la mort fut brève et intense. Nous nous sommes croisés sur une piste cyclable. Elle avait un skateboard, moi un vélo. J’ai survécu de justesse à la première nuit grâce à un médecin avisé et ensuite j’ai regardé le monde d’un tout autre oeil.
Mais si cette fois elle m’avait épargné, elle n’en a pas moins continué son oeuvre. La même année mon oncle partit des suites d’un cancer et au premier de l’an de l’année suivante une amie disparut, me laissant bouleversé après ces jours de festivités. Je pense souvent à elle.
Puis la mort signa une trêve, enfin une courte trêve avant décès d’une nouvelle amie. Un SMS foudroyant, porteur de la sinistre nouvelle. Ce fut la première fois que je me rendais à une cérémonie religieuse, pour soutenir son frère, ami de très longue date. Je déteste les cérémonies religieuses avec tout leurs rituels ésotériques, un peu ridicules, mais c’était une façon de pleurer la disparue en compagnie d’amis. Ce jour là, dans l’église froide, j’ai pensé à tous ces proches que j’ai perdu, mes frères, mon neveu, ma mère, ma tante, mon grand père, mes amis.
La semaine suivante, un ami et collègue partait lui aussi. Je l’ai appris par une actualité anonyme sur le site internet de notre entreprise. Sordide.
Il ne reste plus grand monde à tuer dans ma famille, un vieux père fatigué, un frère avec qui j’ai peu de contact et moi même.
Je ne songe pas à mon épouse, encore moins à mes enfants, attendez donc que je sois froid avant des faire les cons, j’y perdrai sinon la raison.
Cependant j’avoue être curieux. Curieux de la mort, de préférence sans souffrance, juste pour savoir. Je ne suis pas pressé notez le, sauf parfois lorsque les crises de migraines deviennent trop violentes et rapprochées. Je n’ai pas peur, pas encore, sauf la crainte de traîner trop longtemps. Je ne suis pas mystique, ni religieux, juste curieux de savoir qui avait raison.