La seconde sortie photo nous a conduit dans le Ried à la recherche des martins pêcheurs. Un oiseau que je rêve de photographier depuis que j’en ai vu des clichés. Robert, mon mentor, connaît plusieurs spots secrets où ces petits piafs ont l’habitude de de balader. Tout juste s’il ne nous bande pas les yeux pour y aller. Car si trop de personnes connaissaisent ses spots, les oiseaux se feraient plus rares.
Voici donc un martin pêcheur capturé dans mon collimateur. Il est devant moi, à quelques mètres, inconcient que deux humains braquent sur lui leurs objectifs démeusurés. Il ne va rester que quelques secondes immobile avant de s’envoler à toute vitesse vers une autre branche. Il faut être rapide, silencieux, réactif et ne pas se louper, nous n’aurons en une matinée que deux ou trois opportunités de le photographier. En gros vingt secondes cumulées sur quatre heures d’attente. Oui, il faut être patient.
J’utilise ici un doubleur de focale Nikon qui double également mon ouverture mais j’ai eu de la chance, l’arrière plan était relativement éloigné du sujet.
Nikon Z8, Nikkor 200-500 mm, Nikkor TC-20E III, 1/500s, f/11, ISO 1800, 1000 mm
Malgré ce que me disait un ami, les martin pêcheurs se posent sur des branches devant l’observatoire à oiseaux de Kraft. Pas souvent, mais ça arrive. Je suis revenu le lendemain matin, après la photo de la libellule, tenter à nouveau ma chance et au bout d’une heure, un Martin Pêcheur est venu se poser sur une branche devant moi. Cela a duré quelques secondes, juste assez pour que j’immortalise ma première photo de martin pêcheur en solo.
Nikon Z8, Nikkor 200-500 mm f/5.6, bague FTZ, ISO 140, 1/500s, f/5,6, 500 mm.
La photo originale a été prise en contre jour. Il a fallu la surexposer, baisser les hautes lumières et déboucher les ombres. Elle n’est pas recardée car je voulais conserver la branche en entier. Par contre j’ai appliqué un masque pour isoler l’oiseau et la branche et j’ai travaillé les couleurs pour rendre le plan eau plus agréable à regarder. J’ai également effacé une zone plus sombre sur l’eau dans l’arrière plan.
Pardonnez-moi mon père parce que j’ai pêché. Depuis que je l’ai entre aperçu il y a des années, je nourris des pensées coupables.
La première fois, il passa vif tel éclair bleu au dessus de l’onde avec son petit cri strident si mignon. J’ai souhaité le posséder dès le premier regard mais il se dérobait, trop vif pour mon vieil age.
J’ai alors jalousé tous ceux qui l’avaient approché, j’ai détesté les rares qui l’avaient capturé.
Il est si beau, si fragile, si rapide, si étonnant habillé de bleu électrique et d’orange.
Et puis un jour, un ami m’a proposé de le rencontrer, au milieu de nulle part, au bord de l’eau, dans une cabane délabrée. Cela sentait le traquenard à plein nez, il m’avait déjà entraîné dans un guêpier, pourtant je n’ai pas hésité une seconde à me jeter dans l’aventure.
Le ciel était chargé ce matin là, l’atmosphère humide et lourde dans le Ried alsacien. Nous avons abandonné la voiture au bout d’un chemin désert, à plusieurs kilomètres de toute habitation, et nous nous sommes enfoncés dans les bois, portant de lourds sacs sur le dos.
« Tiens toi près dès maintenant », m’a prévenu mon ami, il peut surgir à tout instant. Nous avons marché une trentaine de minutes qui m’ont parues une éternité parmi les orties, les fleurs odorantes et entre des arbres vénérables. Nous avons croisé des chemins, traversé quelques cours d’eau, changé de direction plusieurs fois pour arriver près de la rivière où était bâtie la cabane en bois.
Quelques planches grossièrement assemblées avec d’étroites fenêtres laissaient passer le jour et deux bancs rudimentaires permettaient de nous assoir. Car l’attente s’annonçait longue.
Il a fallut patienter en silence, scrutant le bras d’eau peu profonde où poussaient quelques herbes et fleurs. Puis soudain, deux éclairs bleus ont déchirés la verdure, trop vite, trop loin. Mon cœur battait la chamade et puis plus rien. Il fallait de nouveau prendre son mal en patience, dans l’espoir qu’il revienne par ici.
La pluie, qui menaçait depuis notre départ, s’est décidée à tomber, lourde, dense. Tout semblait perdu. Et contre toute attente, il est revenu vers nous, s’est arrêté à quelques mètres et nous a regardé sans nous voir. Si beau, avec ses ailes bleues, son poitrail orange, son bec fin et ses yeux brillants. Si petit et si vif, inconscient de notre présence silencieuse tout près de lui.
Sans hésiter une seconde, nous avons braqué nos canons sur lui et déclenché l’apocalypse numérique. Les couleurs vives de sa fragile silhouette éclairée par les rayons du soleil ont été aspirées par nos armes, grossis, amplifiés et immortalisés sur des dizaines de millions de photosites vingt fois par seconde. Des centaines de répliques en deux dimensions de la créature furtive gravées dans la mémoire de minuscules cartes à puces. Quelle merveille ! Je le possédais enfin !
Nous sommes revenu à la voiture, fourbus mais émerveillés par la rencontre. J’ai pêché avec Martin mon père, et je recommencerai dès que je le pourrais, je ne désire pas votre absolution, je veux y retourner.