Adieu souris

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Je t’aimais bien tu sais. Tu étais si mignonne toute vêtue de blanc. Je passais mes journées à te toucher, te caresser. Allongée sur le tapis, tu attendais mes directives, tu glissais, tu rampais, réagissant à ma demande. Tu étais mignonne mais un peu vieille, cinquante-six ans tout de même et un peu pénible avec ta manie de trainer ce vieux tapis toute la journée avec toi.

Tu as su évoluer, te libérer de ton fil à la patte, appris à jouer à la roulette, voter à gauche comme à droite. Mais tu prenais vraiment trop de place dans ma vie, tu glissais trop souvent hors de ton tapis, tu peinais à courir d’un angle à l’autre de la pièce sans déraper, alors, alors je t’ai remplacée.

Ta remplaçante ne possède pas tes rondeurs affriolantes, elle est toute plate. Elle ne bouge pas, reste sagement assise sur le bureau à me regarder sans rien dire. Elle ne s’allonge pas sur un tapis au coin du feu pour me faire du charme, elle est froide, précise, efficace.

J’ai longtemps hésité à t’abandonner pour cette nouvelle compagne mais elle travaille tellement mieux que toi, que malgré nos longues années partagées, j’ai franchi le cap. Il faut dire qu’après avoir brisé la fenêtre et croqué la pomme, la séparation semblait inévitable à court ou moyen terme, mais comment se l’avouer au début ?

La main posée sur le bureau, je laisse mon doigt glisser sur la peau froide de ma nouvelle amie. Un doigt, deux, doigts, trois doigts, elle réagit au quart de tour, précise, sensible, efficace, imperturbable. De bas en haut, de gauche à droite, une pichenette et elle répond. Plus de clique et de claques, mais à quel prix ?

La crise de la cinquantaine est passée par là, j’ai fait mon coming out. Ma nouvelle compagne n’en est pas une, mais un. La peau blanche que je caresse de mes doigts amoureux a changé de genre, la souris est devenue trackpad.