A côtoyer des musiciens, des contacts privilégiés se tissent au fil du temps. Nous discutons de musique, de recherche de labels, de salles, nous nous rencontrons parfois et ce qui n’était au départ qu’une relation virtuelle, devient plus personnelle.
Inévitablement, l’objectivité du chroniqueur s’en trouve faussée mais il y a plus délicat encore. Lorsque vous connaissez bien un musicien, il aime vous faire écouter ce sur quoi il travaille, il demande votre avis, et là les choses se corsent.
Bien entendu, il est très agréable de découvrir en avant première ce qui devrait être le prochain album du groupe, d’écouter des morceaux qui peut-être ne verront jamais le jour. Mais lorsque l’on parle de maquette, on touche au travail de création de l’artiste, processus pendant lequel nous ne devrions jamais intervenir, de peur d’influer sur son déroulement.
Imaginez que votre opinion soit écoutée, que votre avis change, un temps soit peu, la direction que prendra la musique, comment pourrez-vous ensuite évaluer cet album en toute rigueur, sachant qu’il y a un peu de vous en lui ?
Mais comment refuser ? Refuser c’est éventuellement vexer quelqu’un que l’on apprécie. Dans la mesure du possible, lorsque cela m’arrive, j’essaye de rester factuel, de parler de la qualité du son, de la structure des morceaux sans rentrer dans le « j’aime ou je n’aime pas » et surtout, j’essaye de ne rien dire qui pourrait amener l’artiste à modifier ses morceaux.
Le musicien, même connu, redoute toujours les réactions de son public à la sortie d’une nouvelle création. Certains organisent des « listening party » pour jauger l’audience, d’autres envoient des maquettes et attendent des retours avant d’aller plus loin, enfin certains s’en foutent et ne se fient qu’à leur envie musicale du moment. Je pense que les musiciens devraient plus se fier à leur instinct, leurs pulsions, et laisser la musique parler, sans s’inquiéter de la réaction future du public. C’est là que sont nés les plus grands chefs d’œuvres.
Ne vous privez pas, continuez à m’envoyer vos drafts, je les écouteraient avec plaisir tout en tachant de rester le plus neutre possible. Mais ne me demandez pas ensuite de chroniquer l’album dont j’aurai découvert la genèse, ce serait trop compliqué à gérer.