Dépression hivernale

Image

Alors que le capitaine Kirk faisait pipi sur la France, je quittais pour deux jours la douillette Alsace pour la Lorraine. Il pleuvait, le ciel était gris et j’étais tout seul. Je devais superviser des travaux coûteux et totalement inutiles à cent cinquante kilomètres de la maison. 

Après un lever matinal, deux heures de route, trois café serrés, un repas sur le pouce dans la cuisine du centre en regardant un jeu télévisé débile (c’est une tradition lorraine), une journée dans le bruit des perceuses à me battre au téléphone avec un commercial incapable, un agent comptable intransigeant et des ouvriers bien décidés à saboter le système d’alarme du bâtiment, je retrouvais épuisé l’hôtel amoureusement choisi par mon entreprise. Une chaîne de seconde zone dans une zone commerciale déserte à quelques kilomètres du travail.

Les centres commerciaux c’est sympa pour faire les courses et encore lorsque l’on aime le shopping, mais comme lieu de villégiature, c’est nettement moins sexy. 

C’est au milieu de la circulation dense, des gaz d’échappement, des entrepôts en tôle ondulée, des enseignes criardes, des passages piétons suicidaires, que j’ai fait ma promenade du soir, car mon kiné m’a demandé de marcher. 

Alors oui c’est le centre commercial où se trouve ma boutique photo préférée, mais je n’ai fait que passer devant la vitrine. Je savais que dans mon état de fatigue, de solitude et de déprime, je serai ressorti du magasin avec un gros caillou dont je n’ai pas forcément l’usage. 

A la place j’ai cherché un restaurant pour manger en tête à tête avec moi-même. Par chance il y avait du choix : Mc Donald, Burger King et KFC ! 

Après un menu Mc Degueu, j’ai rejoint mon nid douillet. 12 m2, une télévision, des draps blancs qui grattent et un voisin accroché son téléphone portable. J’avais un excellent roman à terminer mais impossible de me concentrer sur les pages en écoutant la vie de mon voisin. Alors j’ai allumé la TV. 

A la maison j’ai débranché le décodeur TV depuis des années, lassé des publicités et des programmes affligeants. BFM parlait de Kirk et de Milton, TF1 parlait de Milton et Kirk, Arte parlait du budget Barnier, Trump parlait de  l’intelligence de Macron, C+ était crypté, Paris Première revisitait la série NCIS, Gulli proposait Johnny English avec Rowan Atkinson. Parfait pour mes neurones.

J’ai fini par fermer les yeux avant la fin du navet et m’endormir une fois que mon voisin eut épuisé son forfait téléphonique ou ses cordes vocales.

A 6h30 le lendemain, je déjeunais seul devant BFM TV d’un café infect et d’un mini croissant mou avant de rejoindre sous la pluie le centre encore désert. La France avait été noyée sous cent litres d’eau pendant la nuit et le ciel gris égayait la Lorraine joyeuse.

Encore une longue journée à la perceuse à contrôler le chantier, recevoir un chauffagiste incompétent, découvrir les modalités de notre future assurance santé obligatoire, gérer l’alarme défaillante, la distribution des clés aux agents, les relances de factures et les rendez-vous avec des fournisseurs. 

A 17h je réceptionnais les travaux, un cadre de fenêtre neuf à remplacer, un oscillo battant mal réglé, une porte d’entrée sans poignée extérieure et quelques broutilles cosmétiques avant de repartir vers l’Est sous les averses pour retrouver vers 19h30 mon home sweet home et ma douce épouse.

En deux journées grises et pluvieuses j’avais accumulé 24 heures de travail, il était temps de me reposer. Alors le lendemain soir, je suis monté au Champ du Feu pour observer la comète C/2023 A3. Mais si en plaine le ciel était clair, en montagne nous pataugions dans la brouillasse. Décidément j’avais pris un abonnement pour la grisaille.