La téléportation existe, je l’ai expérimentée.
Une belle journée commençait, la pluie avait laissé la place aux éclaircies, un temps idéal pour une promenade dominicale. Je venais de sortir de la maison, en bordure de la grande tranchée de terre, celle qu’il ne faut jamais traverser. L’herbe humide me chatouillait délicieusement, l’air embaumait, la rivière coulait rapidement, charriant les eaux diluvienne de la veille.
Mon estomac criait famine mais le repas pouvait encore attendre, je voulais profiter de l’instant, de l’air, des odeurs, du soleil, du calme, de la beauté, de la vie, de cette journée qui s’offrait à moi.
Soudain, de pesantes vibrations ébranlèrent le sol, une, deux, trois quatre, une, deux, trois, quatre, une, deux, trois quatre, de plus en plus fort. Le danger approchait le long de la grande tranchée de la désolation, là où bien des nôtres avaient perdu la vie. Le bonheur de l’instant laissait place à l’urgence de survivre, de m’éloigner de la menace aussi rapidement que possible.
Aussi brutalement qu’elles avaient commencé, les secousses cessèrent, remplacées presque aussitôt par de longues modulations sonores insoutenables. Une gigantesque ombre recouvrit alors la nature, un froid glacial m’enveloppa. Que m’arrivait-il ? Au secours !
J’étais pourtant resté prudemment bien en retrait du désert ocre qui tentait les plus aventureux d’entre nous. Rien n’aurait dû m’arriver.
C’est alors que je sentis une violente pression sur mon corps. D’un coup je fus très haut dans le ciel, à cent lieues de l’herbe accueillante et humide, au dessus de l’immense tranchée aride que personne n’avait jamais traversé. Mon estomac se retourna, mon oreille interne s’affola, mes yeux perdirent tout repère et moins d’une seconde plus tard, je me retrouvais de l’autre côté de la frontière infranchissable, à des heures de ma maison, de ma famille, séparé d’eux à jamais.
Je venais d’être téléporté de l’autre côté du monde.
La pression se relâcha sur mon corps, de nouvelles secousses ébranlèrent la croute terrestre : une, deux, trois, quatre, une, deux , trois, quatre, une deux, trois quatre, de moins en moins fort.
Je suis assis dans l’herbe humide, seul, de l’autre côté de l’univers connu. La journée est belle, le calme est revenu et mon estomac crie famine. Je glisse entre deux brins d’herbe, rampant vers ce trèfle délicieusement odorant. De l’autre côté du monde, la nourriture possède d’étonnantes saveurs, la terre n’a pas la même couleur, la même odeur et de nombreux gastéropodes gambadent joyeusement. Peut-être pourrais-je fonder une famille de ce nouveau monde ?
Si des tremblements similaires se produisent, cette fois, je me glisserai dans la maison, bien à l’abri, rien ne pourra plus m’arriver.
« Sortez de vos coquilles, mes frères et mes sœurs. Ouvrez les yeux. Le monde est bien plus grand que vous ne le pensiez, car je viens de l’autre côté de la terre, près de l’immense eau qui gronde. Non je n’ai pas traversé le grand désert aride, personne n’y survivrait. J’ai été téléporté par une force inconnue, et me voila parmi vous, tel un messie. »
« Je vous le dis, lorsque que le sol tremblera quatre fois, que l’ombre s’abattra sur le sol, soyez prêt pour le voyage, vous ne reverrez plus jamais les vôtres. La téléportation existe, je l’ai expérimentée. »
En nous promenant au bord du Rhin, ma douce et tendre à trouvé un gros escargot au bord du chemin qui risquait de se faire écraser par les marcheurs. Elle s’est penchée vers lui, l’a pris délicatement dans ses mains et l’a déposé de l’autre côté du chemin, pensant le sauver. Mais avait-elle conscience que cet acte généreux allait changer à jamais la vision qu’ont les gastéropodes de l’univers et de la science ?